10.

En rentrant de l’école après le zoo je me suis bagarré avec Harold Lund. C’est un grand affreux qui est copain avec Marty Polaski. Y m’a pris par surprise, ce qui est pas une manière régulière de se battre, mon vieux, y m’a sauté dessus et y m’a jeté par terre et y m’a coincé avec ses genoux sur mes épaules jusqu’à ce que Shrubs lui balance une poubelle sur la tête et là on a couru tous les deux jusque chez nous.

Dès que je suis arrivé à la maison, ma manman m’a dit : « Pas un mot ! » pasqu’elle a vu que mon pantalon était tout vert aux genoux d’avoir traîné dans l’herbe. (Un pantalon neuf, j’l’avais eu à West Clothing, oùsqu’il n’y a pas de porte aux salons d’essayage et qu’une petite fille a vu mon slip.)

— Non mais regarde-moi ça, a dit ma mère. Dans quel état tu es ! Avec qui t’es-tu battu cette fois-ci, hein ?

— Les Juifs, j’ai dit.

— Quoi ?

Je suis parti. Elle m’a couru après et m’a attrapé par le bras.

— Dis-moi la vérité s’il te plaît.

Alors je la lui ai dite. Je m’avais fait écraser par une voiture conduite par un rabin et il en était sorti et il avait dit que j’étais pas juif mais j’ai dit que si seulement y voulait pas me croire et on avait dû faire un bras de fer et je l’avais battu pasqu’il était faible et puis un nègre était venu qui avait dit que je pouvais être nègre si je préférais et j’avais dit d’ac et le rabin s’était mis en rogne et y m’avait poussé dans l’herbe et puis j’étais rentré à la maison.

Je suis monté dans ma chambre. Ma manman a crié :

— Reviens ici immédiatement et dis-moi la vérité !

Mais je l’ai pas fait.

Je m’ai assis sur mon lit et j’ai pris quelqu’un. Câlinou-Singe, il m’attendait. Il m’a dit qu’il avait regardé par la fenêtre et que c’était moi qu’avais battu Harold Lund, pas Shrubs. J’ai jeté mon pantalon dans le toboggan à linge sale, qui est dans la chambre à Jeffrey derrière la porte. C’est une petite porte et puis ça glisse jusque dans la cave pour le linge sale. J’aimerais pouvoir y glisser, mais je suis trop grand. Et même mon pantalon il est pas descendu. Il est resté coincé à mi-chemin, ça s’entend très bien. Alors j’ai dû y jeter un livre ce qui est la méthode pour débloquer le toboggan à linge sale. Je suis allé dans mon tiroir prendre J’apprends l’orthographe : Livre I que je garde dans ma commode pour étudier pour le concours d’orthographe.

Seulement il y était pas. Je l’avais perdu. (Je suis désordre. Je ramasse pas mes affaires derrière moi. Ma manman elle dit toujours : « J’en ai par-dessus la tête de passer ramasser tes affaires derrière toi. Un de ces jours je vais arrêter et tout va s’entasser et quand il n’y aura plus moyen d’entrer dans ta chambre, qu’est-ce que tu feras, hein ? » Et moi je réponds : « J’irai en Floride. ») Mais au lieu de J’apprends l’orthographe : Livre I, il y avait la Petite Graine. Ma manman l’avait laissé dans ma chambre après nous l’avoir lu. J’ai regardé dedans. Y avait beaucoup d’images. Y avait grand-mère et grand-père et un petit garçon et une petite fille et des cochons et des bébés cochons et des vaches et des bébés vaches, et des poules et des œufs. Et un zizi.

J’ai refermé le livre, je me sentais bizarre à l’intérieur. Je m’ai assis sur mon lit. Et puis la porte s’est ouverte et un poulet est entré dans ma chambre, il avait une crête qui était rouge. C’était comme de la peau et ça ballottait d’un côté et de l’autre. Il a grimpé sur mon lit et a essayé de s’approcher de moi et moi j’essayais de le repousser. Et puis il y eut un autre poulet et encore un autre. Ma chambre en était pleine et y en avait qui pondaient des œufs et celui qui était sur mon lit a commencé à donner des coups de bec à mon zizi alors j’ai eu très peur et je l’ai frappé et sa crête s’est mise à gonfler et à devenir grosse et quand je l’ai touchée avec mes doigts et il en est sorti une espèce de jus blanc sur ma main. Et puis c’était plus un poulet ou une poule. C’était Jessica. Elle était assise sur mon lit avec une main sous sa robe et elle me regardait.

— Gilbert, qu’est-ce que tu fabriques, a crié ma manman depuis l’escalier, ça va ?

J’ai ouvert la porte en me frottant les yeux.

— Tu t’étais endormi, elle m’a dit. Il est presque l’heure de se mettre à table. Va vite te laver les mains et descends. Et ne réplique pas à ton père, il est d’une humeur massacrante.

Je suis allé me laver dans la salle de bains. (J’ai utilisé une savonnette Sweetheart, c’est celles que je préfère, elles ont des dessins gravés dessus.) Quand je suis retourné dans ma chambre me changer y avait plus ni poulet ni Jessica. J’ai remis la Petite Graine dans ma commode et je suis descendu dîner.

— Je croyais que tu devais réviser pour ton concours d’orthographe, m’a dit Jeffrey.

Il était en train de regarder les filles dans un magazine, les publicités pour les sous-vêtements.

— On est en république, non ?

— Tiens, fume, il m’a dit en faisant un geste comme ça au-dessus de son zizi que c’est pire qu’un gros mot.

Mon papa l’a tapé. Il était d’une humeur massacrante.

Pour dîner manman avait fait de la poitrine. C’était délicieux et nutritif. Sauf que Jeffrey arrêtait pas de chahuter. Il me donnait des coups de pied sous la table. Mais après dîner y m’a aidé à réviser pour le concours d’orthographe.

 

Le concours d’orthographe a eu lieu deux semaines après le zoo. C’était l’automne, octobre. (Je m’en souviens pasque mon papa m’a donné son blouson de plastique jaune. Il est super-chouette mon vieux. Les manches gonflent un peu sur moi pasqu’elles sont trop longues mais j’aime que ça soye en plastique, pas en tissu. Mais la fermeture à glissière est cassée, c’est pour ça que je l’ai eu.)

Pendant deux semaines Jeffrey m’avait aidé à réviser. Je m’ai servi de J’apprends l’orthographe : Livres I, II et III. Jeffrey en avait deux qu’il avait gardés d’avant et Mlle Iris m’avait prêté le troisième. Et aussi je me servais d’un dictionnaire. Jeffrey me demandait des mots et moi je les épelais.

D’abord il y a le concours d’orthographe de la classe, puis celui de toutes les classes de même année, puis celui de l’école, celui de toute la ville et je sais plus quoi encore après. Celui de ma classe je l’ai remporté en épelant liquoreux. J’ai eu droit à une petite image collante sur mon front. C’était une dinde. (Mlle Iris avait fini ses étoiles.) Ma manman m’a dit qu’elle était très fière de moi et elle m’a emmené chez Maxwell après l’école et elle m’a dit que je pouvais choisir un jouet pas trop cher. J’ai demandé Zorro. C’est un modèle déjà monté. Il est super. Y a des tas de modèles et de maquettes chez Maxwell mais c’est Zorro le plus grand. Jeffrey dit que c’est pasqu’il est d’une autre marque. Mais moi je crois que c’est pasqu’il est espagnol. De toute manière il était trop cher, alors j’ai eu une nouvelle boîte de soldats. Mais manman a dit que si je gagnais le concours d’orthographe des trois troisièmes réunies, je pourrais avoir Zorro.

La veille du concours, j’étais nerveux. J’ai eu ma pleurodynie. Alors j’ai emporté J’apprends l’orthographe : Livre I avec moi au cabinet pour m’entraîner encore.

— Gilbert, qu’est-ce que tu fabriques là-dedans ? elle a demandé ma manman.

— Rien, que j’ai répondu.

— C’est bizarre, j’aurais juré que tu chantais Heartbreak Hôtel ! qu’elle a dit. (Et pourtant, c’était exactement comme le disque. Mais alors exactement.)

Le lendemain j’étais même pas nerveux ce qui m’a surpris mais c’était comme ça. Je m’ai levé j’ai mangé mon petit déjeuner et puis Shrubs est passé me prendre comme toujours et puis il est allé au salon et il a chipé des bonbons dans le truc en verre de manman comme toujours, et puis on est parti. J’y ai dit que peut-être j’allais avoir le Zorro de chez Maxwell et il a dit : « Eh ben dis donc. »

À la cloche j’avais des fourmis dans les jambes. (Pas des vraies fourmis.) On avait d’abord cours avec Ackles la prof de sciences nat. Elle est du Sud, elle nous appelle « les amis ». Et puis aussi elle a un calepin dans lequel elle te colle un zéro si tu te conduis mal. Elle appelle ça « un bon gros zéro ». Ce matin-là, Marty Polaski a levé le doigt quand elle a demandé qui avait quelque chose d’intéressant à raconter.

— Ce matin, j’étais chez moi occupé à fabriquer une petite chaise électrique quand je me suis tranché le doigt par accident. Mais je l’ai ramassé par terre et je l’ai mis dans une petite boîte pour pas le perdre. Et le voilà !

Il a sorti une petite boîte blanche et dedans y avait du coton et sur le coton y avait son doigt dis donc ! La mère Ackles est devenue toute blanche comme si elle allait dégobiller. Marilyn Kane est tombée dans les pommes. Et alors Marty nous a fait voir qu’y avait un trou dans le fond de la boîte et qu’il avait passé son doigt par le trou. (Il a eu droit à un bon gros zéro dans le calepin de la mère Ackles, les amis.)

Et puis une fille est venue dans la classe et elle a dit :

— Est-ce que les finalistes pour le concours d’orthographe des troisièmes veulent bien me suivre en salle 215 ?

Et j’y suis allé.

Dans la salle 215 tous les élèves étaient debout contre le mur comme un peloton d’exécution. Mlle Iris et Mlle Kolshar étaient assises au milieu de la salle sur leur fauteuil de professeur. Mlle Kolshar était dans un mauvais jour, ça se voyait tout de suite. Je me suis mis debout en face d’une fenêtre et j’ai regardé dehors. C’était l’automne et les feuilles tombaient des arbres. Ils étaient en train de devenir chauves.

La salle 215 c’est la salle de Mlle Iris. Elle avait encore d’accroché le tableau d’affichage que j’avais fait pour la Journée Portes Ouvertes. (La Journée Portes Ouvertes c’est quand vous venez à l’école avec vos parents et puis tout le monde fait la queue pour faire connaissance des maîtresses qui peuvent leur raconter des tas de mensonges sur vous. Mon tableau d’affichage était un cheval au galop avec d’écrit « Tous premiers ! ». On peut accrocher des notes et des feuilles de papier après. C’est moi qui l’avais fait. Je suis un artiste. Je suis bon en dessin. Mlle Verdon, la prof de dessin, elle dit que j’ai du talent. J’aime faire des bulletins d’affichage. On a le droit de se servir des ciseaux de maîtresse qui sont pointus et risquent de vous crever un œil.)

Quand tout le monde a été installé, Mlle Iris nous a dit les règles du concours d’orthographe.

— Nous demanderons à chaque élève un mot à la fois. Vous avez le droit de nous le faire répéter. De nous demander de l’utiliser dans une phrase. Mais une fois que vous avez commencé à épeler nous ne pouvons plus rien dire et vous n’avez pas le droit de changer d’avis en cours de route.

Et alors la porte s’est ouverte et Mlle Klegan est entrée. C’est une maîtresse. Y avait quelqu’un avec elle. Qu’elle tirait par le bras. C’était Jessica.

— Allez, mademoiselle, faites-moi le plaisir d’aller prendre votre place parmi vos camarades. Et plus vite que ça.

Jessica a jeté à Klegan un regard noir. Elle portait un livre. Il était recouvert de papier noir, il venait de la bibliothèque de l’école.

— Veuillez déposer ce livre, mademoiselle, a dit Kolshar. Les livres sont interdits pendant les concours d’orthographe.

— Il a fallu que je la traîne jusqu’ici, a dit Mlle Klegan.

— Pourquoi ? a demandé Mlle Iris.

Klegan s’est tournée vers Jessica et elle a répété :

— Pourquoi ?

— Mais comment voulez-vous que je le sache, bon sang ! a fait Jessica. (C’était pas une façon de parler devant des maîtresses. Tout le monde a attendu.)

— Je ne vais certainement pas vous encourager à continuer sur ce ton, espèce de péronnelle, taisez- vous ! a dit Klegan. Et faites-moi le plaisir de ranger ce livre dans votre pupitre et finissons-en !

Jessica a attendu une minute mais elle a quand même rangé le livre. Mlle Kolshar a dit « Merci, Fran », à Mlle Klegan qui est repartie.

Et le concours d’orthographe a commencé.

Mlle Kolshar a demandé gamin à Mike Funt.

— Vous pouvez l’utiliser dans une phrase s’il vous plaît ? a demandé Mike.

— Oui. C’est un petit gamin.

— Gamin. G-A-M-I-N. Gamin.

Mlle Iris a demandé promenade à Marion Parker.

— Promenade. P-R-O-M-E-N-A-D-E. Promenade.

Mlle Kolshar a demandé à Tommy Halsey bicyclette.

— Byciclette. B-Y-…

Mais il s’est rendu compte qu’il se trompait et il s’est rassis en pleurant presque.

Mlle Kolshar a demandé bicyclette à Ruth Arnold.

— Vous pouvez l’utiliser dans une phrase s’il vous plaît ?

— Oui. Je viens à l’école à bicyclette.

— Bicyclette. B-I-C-Y-C-L-E-T-T-E. Bicyclette.

Elle a épelé en souriant. Je déteste Ruth Arnold.

C’est toujours le chouchou pasqu’elle est tellement maligne et qu’elle joue du violon. Une fois je lui ai posé une devinette :

 

L’aéroplane rugit et vrombit dans les airs

Peux-tu m’épeler ça sans « r » ?

 

Elle a pas pu, Ruth Arnold. Alors je lui ai dit : « Ça, Ç-A, ça ; ah, ah, ah » ! Pour ne rien vous cacher, je voudrais la tuer, moi, Ruth Arnold. Une fois, en instruction civique, elle m’a cafté pasque je montrais à Shrubs comment qu’on fait pour faire croire qu’on s’arrache le pouce. J’ai dû aller voir dans le couloir si la mère Crowley (qui nous fait instruction civique) y était et j’ai manqué un contrôle et elle m’a collé un zéro alors que je parlais même pas d’abord. (Je faisais plutôt de la pantomime, comme on a appris en classe.)

Mlle Iris m’a demandé automne. J’ai épelé facile j’ai même pas eu à lui demander une phrase. Mais Ruth Arnold a levé le doigt et elle a dit :

— Mademoiselle, mademoiselle ! C’est pas juste ! Y a le mot « automne » sur le tableau d’affichage. Là, dans les papiers. Un poème d’automne. C’est Gil qui a fait le tableau, il a vu.

— C’est pas vrai, menteuse ! j’ai dit moi.

— On ne vous a pas donné le signal de parler, a dit Kolshar.

Mais elle a dit que Ruth Arnold avait raison et qu’il fallait que Mlle Iris me demande un autre mot.

— Attends un peu, Helen, a répondu Mlle Iris, je ne trouve pas juste que Gilbert doive épeler un deuxième mot. D’ailleurs, ce n’est pas lui qui a affiché ces papiers. C’est moi. Il a seulement fabriqué le tableau d’affichage.

— Bon, eh bien, c’est moi qui vais lui demander un mot, alors, a dit Mlle Kolshar.

— Il n’en est pas question, a dit Mlle Iris.

Elle devenait toute rouge et tous les élèves commençaient à ouvrir de grands yeux.

— Mais enfin regarde, tu vois bien que c’est sur le tableau, a dit Mlle Kolshar.

— Mais ça ne va pas, non ? Il ne peut pas voir le tableau de là où il est.

Les deux maîtresses se sont mises vraiment en colère et elles se regardaient en chiens de fusil. Et puis Mlle Iris a dit que si quelqu’un devait vraiment me demander un mot de plus, ce serait elle. Et elle m’a demandé alternativement.

— Vous pourriez l’utiliser dans une phrase s’il vous plaît ?

— Oui. La règle d’un concours d’orthographe c’est que les maîtresses posent alternativement les questions.

— Alternativement. A-L-T-E-R-N-A-T-I-V-E-M-E-N-T. Alternativement.

Alors Mlle Kolshar a demandé détruire à Joan Overbeck et Mlle Iris a demandé négligence à Irving Klein. Et Mlle Kolshar a demandé exagération à William Gage qui s’est trompé mais n’a pas voulu s’asseoir. Mlle Kolshar lui a dit de s’asseoir, mais rien à faire, il restait à regarder par terre sans bouger. Y voulait pas avoir perdu. Alors c’est Mlle Iris qui lui a parlé :

— Ecoute, William, mon bonhomme, ce sont les règles et il faut que tout le monde les respecte, tu comprends, mon grand ? Tu auras de nouveau tes chances au semestre prochain. Je parie que tes parents seront déjà très fiers de toi en apprenant que tu es allé aussi loin dans le concours.

Alors William s’est assis et Mlle Kolshar a de nouveau regardé Mlle Iris en chien de fusil.

Et puis ça a été le tour de Jessica. Mlle Iris lui a demandé comment mais Jessica a eu l’air de ne pas entendre.

— Jessica.

— Oui ?

— Comment.

— Comment quoi ?

Tout le monde a ri. Kolshar était folle de rage.

— Comment c’est votre mot, petite écervelée. Épelez-moi ça plus vite que ça !

— Ç-A.

— Dites donc, Jessica, vous préféreriez peut-être renoncer à votre droit de concourir pour vous rendre directement au bureau de la directrice ? a dit Kolshar. C’est ça que vous voulez ? Ça peut s’arranger très facilement mais croyez-vous que vos parents trouveront ça amusant ?

Ensuite, c’est Mlle Iris qui a parlé :

— Jessica, ou bien tu épelles un mot, ou bien je te colle un zéro en orthographe pour le semestre entier, nous sommes bien d’accord ?

Elle était furieuse aussi. Mais j’ai pensé quelque chose. J’ai pensé que Jessica était très forte en classe et qu’elle allait gagner le concours d’orthographe. Et je suis devenu très inquiet.

— Comment, a dit Mlle Kolshar.

— Pourriez-vous l’utiliser dans une phrase s’il vous plaît ?

— Oui. Comment allez-vous ?

— Comment, a dit Jessica. M-O-X-P-L-Y-T. Comment.

Personne n’a rien dit, tout le monde ouvrait de grands yeux. Jessica restait debout sans bouger. Et puis, très, très doucement, Mlle Kolshar a dit :

— Filez au bureau de la directrice, mademoiselle.

Jessica a repris son livre dans le pupitre et elle a pris la porte. Dave Sutton a fait : « Po-pom, po-pom, po-pom-po-pom-po-pom… » (C’est la musique de la panthère rose à la télé.)

— Qui vous a donné le signal de parler ? a demandé Kolshar.

Et puis les mots ont commencé à devenir difficiles. Les élèves savaient pas les épeler et ils abandonnaient le concours. Helen Tressler est sortie sur cellophane. Audrey Burnstein aussi, celle qui porte un appareil dentaire. Et cinq élèves sont tombés sur yacht, jusqu’à ce que Ruth Arnold l’épelle correctement. Elle n’a pas manqué non plus décorum et nausée. Moi, j’ai eu hospitalier et incriminer. On n’était plus que quatre en jeu. Nancy Kelton est tombée sur engrais et Sidney Weiss après elle. Mais Ruth Arnold a encore réussi. Y restait plus qu’elle et moi.

Mlle Iris m’a demandé attraper.

— Vous pouvez l’utiliser dans une phrase, s’il vous plaît ?

— Oui. Si tu ne cours pas plus vite je vais t’attraper.

— Attrapper. A-T-T-R-A-P-P-E-R. Attrapper.

— Ruth Arnold, elle a fait Mlle Iris. Attraper.

Et j’ai su que je m’étais trompé. Tout d’un coup j’ai eu l’impression que j’allais tomber. J’avais perdu le concours d’orthographe. Ruth Arnold a dit :

— Atraper. A-T-R-A-P-E-R. Atraper.

Elle s’était trompée aussi. J’ai failli éclater de rire.

Mlle Kolshar m’a demandé finance.

— Finance. F-I-N-A-N-C-E. Finance.

Je l’ai dit un peu au hasard mais sans me tromper. Et alors Mlle Iris a demandé scène à Ruth Arnold.

— Sène. S-È-N-E. Sène, a dit Ruth Arnold.

Et moi je le savais, je le savais ! Je le savais à cause de « la grande scène du II » que j’avais cherchée au dictionnaire ! Alors je l’ai bien épelé. Et Mlle Kolshar m’a demandé nécessaire.

— Nécessaire. N-É-C-E-S-S-A-I-R-E. Nécessaire !

Mlle Iris s’est mise à applaudir. Kolshar lui a lancé un regard mais j’avais gagné le concours d’orthographe ! Le concours de toutes les troisièmes années ! Et je me suis mis à applaudir aussi. Je m’applaudissais. Mlle Kolshar a fait remarquer que ce n’était pas très intéressant. Mais j’applaudissais encore et encore. J’ai applaudi jusqu’à ce que tous les autres soient sortis. Mlle Iris m’a donné un baiser sur le front et elle m’a dit :

— Va donc au bureau chercher ton prix, voilà un billet.

C’est ce que j’ai fait.

Devant le bureau il y avait quelqu’un d’assis sur le banc où s’asseyent les méchants et attendant de se faire engueuler par la directrice. C’était Jessica. Je suis passé devant elle, et je suis entré dans le bureau, sans rien lui dire pasqu’elle ne m’avait pas vu, elle était en train de lire son livre. J’ai demandé à la secrétaire rousse pour mon prix. Elle m’a dit que c’était un dictionnaire. Que j’aille l’attendre dehors, assis sur le banc. Alors j’y suis retourné. Jessica lisait toujours. J’ai vu le livre, c’était l’Etalon noir.

La cloche a sonné. Tous les élèves sont allés à leurs casiers. Ils m’ont vu assis sur le banc. J’ai dit :

— J’ai pas été puni. Je viens de gagner le concours d’orthographe.

Comme ça personne n’a pensé que j’étais puni. Mais Jessica, elle, elle a rien dit, elle continuait de lire. Au bout d’un moment, elle a posé le livre et elle a regardé dans le hall, mais personne en particulier. Personne. Et elle a dit :

— Pour le moment, il doit être dans le Wyoming. Il a commencé dans le Montana, avec tout le troupeau, c’est lui le chef parce qu’il est le plus grand et le plus sauvage, personne ne peut le monter que moi. Mais maintenant il vient tout seul.

— Qui ça ? j’ai demandé.

Elle s’est tournée et elle m’a regardé droit dans la figure et j’ai vu ses yeux. Y sont géants, mon vieux, verts avec des éclats marron dedans.

— Blacky, elle a répondu. Mon cheval.

— Ah, bon.

Et puis on a plus rien dit pendant longtemps. Les élèves ont arrêté de passer devant nous, les portes des casiers ont cessé de claquer et tout est resté coi et tranquille dans le hall de l’école.

Et puis Jessica a dit quelque chose :

— Tu sais, Gil, je t’ai laissé gagner le concours d’orthographe, elle a dit. Parce que tu en avais très envie.

Quand j'avais cinq ans, je m'ai tué
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